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Nouvelles de la Colonie
Texte d’introduction au livre « Marronnages » par Sylvaine Dampierre
On ne sait avec certitude quand commença la publication de la Gazette de la Guadeloupe, hebdomadaire de 4 à 6 pages imprimé à Basse-Terre dont les archives départementales ne conservent que deux années de publication. Elle fut remplacée quelques années plus tard par la Gazette officielle de la Guadeloupe qui continua de paraître bien au-delà de l’abolition de 1848.
Comme la plupart des périodiques publiés aux Antilles, ces gazettes ont une vocation utilitaire et un caractère semi-officiel, publiant les avis, circulaires, arrêt du Gouverneur, ordonnances et règlements qui régissent la vie coloniale, avec leurs rubriques récurrentes : Avis du gouvernement de la Guadeloupe, Avis de départ, Prix des denrées et marchandises, Tarifs du fret … Au milieu desquelles figure la rubrique Marronnage : liste et description des esclaves fugitifs et recherchés, voire arrêtés et détenus. Ce sont des offres de récompense, des avis de recherche, mais aussi cessurprenantes listes «d’épaves» adressées aux maîtres, afin qu’ilsviennent récupérer leurs esclaves détenus dans les geôles du Gouverneur et dont les frais d’entretien s’accumulent.
C’est bien sûr la brutale banalité de ces avis, publiés tous les jeudis au milieu des autres nouvelles, qui frappe. Ils livrent une litanie de destins aperçus, de tentatives de fuite, de périlleuses et provisoires échappées et de saisissants portraits.
Cette manne documentaire offre au lecteur des fragments puissamment évocateurs de la réalité de l’esclavage : mentions de l’origine des esclaves, de leur état physique, de leur habillement, de leurs « allures » – entendre lieux de fréquentation des fugitifs – et s’imposent à lui comme une série de photographies soigneusement décrites.
Elles nous laissent apercevoir des hommes, des femmes, des enfants, figures terriblement émouvantes de corps en fuite, provisoirement échappés à la fatalité de leur destin. Elles sont un puissant appel à notre imaginaire, mais surtout, elles offrent à l’indicible une saisissante matérialité, à l’invisible, une vertigineuse représentation.
Cette violence ordinaire s’inscrit dans la graphie. Bernard Gomez scrute le chemin de l’encre, la soif du papier, sa trace sur le fac-similé de l’archive : c’est l’image d’une inscription, d’une empreinte, d’une blessure encore saignante. Et le photographe place en regard de toutes ces absences, le paysage.
À travers le temps, revisitant les étapes de sa propre exploration photographique du territoire de la Guadeloupe qui s’étend sur ces dix dernières années, il érige le paysage en mémorial, y réinvente les traces d’un récit effacé : chemins fatigués que la foulée des fuyards a peut-être initiés, horizons aperçus que leurs yeux éperdus ont pu scruter en vain, lits de rivière où leurs pieds nus ont cherché à désorienter les molosses lancés à leur poursuite, lacis végétaux où ils ont cherché à se fondre, jusqu’aux labyrinthes urbains étrangement désertés.
Telles sont les lignes de fuite que le Bernard Gomez nous propose. Visions marronnes, officieuses, subjectives, il leur confère une monumentalité sensible, interrogeant la façon dont les souvenirs refoulés reviennent hanter les paysages contemporains.