Jacques Mandelbaum / Le Monde

Loin de l’actualité fiévreuse de la Guadeloupe, et pourtant pas si éloigné que ça, ce Pays à l’envers est avant tout un récit de quête des origines, à mi chemin du journal intime, du documentaire et de l’essai.

Sylvaine Dampierre, réalisatrice et métropolitaine d’origine guadeloupéenne, y part à la recherche du passé qu’elle ne connaît pas, pour sa propre édification sans doute, mais plus encore peut être pour rétablir un chaînon manquant du récit familial, entre son père qui a quitté l’île natale voici cinquante ans, et son fils, adolescent élevé en France.

Le documentaire contemporain est désormais riche, un peu trop peut-être, de ces mystères généalogiques transformés pour ne pas être pensés de prime abord en enquête publique à vocation cathartique. Il faut d’autant plus de doigté pour espérer aujourd’hui ) à l’heure où l’exposition de l’intimité se transforme en jeu du cirque – convaincre un public de la sincérité de la démarche comme de l’utilité de sa divulgation. Le Pays à l’envers passe haut la main cette épreuve. Pas sa douceur, se sensibilité, sa pudeur.

C’est que, sur fond d’interrogation et d’enjeu personnel, Sylvaine Dampierre parvient à élever son propos tout à la fois à la hauteur d’une mémoire collective et d’une enquête publique. L’aliénation de la première semble être rachetée par la seconde. La qualité du Pays à l’envers est aussi d’avoir le courage d’aller vers les choses triviales et de passer par le truchement de personnages extérieurs, qui enrichissent le film de leur expérience .

L’enquête sur le nom de famille est passionnante pour ce qu’elle révèle de la période de l’esclavage, mais aussi par la rencontre qu’elle nous permet de faire avec Michel Roger, le généalogiste qui a décidé de dresser, conte la honte et l’oubli volontaire, l’arbre généalogique de tous les guadeloupéens.

Travail charnel

D’un arbre l’autre, Sylvaine Dampierre s’attarde aussi du côté du concours des jardins créoles, survivance apparemment désuète, mais en réalité fortement symbolique de ces minuscules lopins de terre accordés aux esclaves pour mieux s’assurer de leur servitude. Elle passe, de plus, par le travail charnel de la chorégraphe Léna Blou, qui s’inscrit dans sa danse et dans les corps qui la portent  tout à la fois la grâce et les stigmates de l’histoire antillaise.

Cet aspect composite du film pourrait être une faiblesse. C’est sa chance, c’est la plus magnifique des opportunités à saisir, pour la réalisatrice comme pour ses spectateurs : celle de se trouver en s’égarant.

Jacques Mandelbaum (Le Monde – 29/03/2009)