Le travail des hommes
Je m’attache au travail, à sa chorégraphie, à ses rites, au corps à corps des hommes avec la machine. Ils ont des voix puissantes, habitués qu’ils sont à percer le fracas de l’usine, leurs corps sont modelés par le travail. Je veux inscrire leurs gestes méconnus, leur histoire ignorée.
Je veux montrer ce qui les fonde, ce qui les tient debout. Je veux rendre hommage à leur expertise, à leur connaissance organique de l’usine avant que la rationalité économique ne l’abolisse. Je veux les camper dans leur paysage, ancrés dans leur île hérissée de canne, leur douloureux et glorieux héritage, avant qu’il ne se transforme en un décor pittoresque dont ils seraient au mieux les figurants.
Le récit s’éloigne de la chronique, invente sa propre temporalité : un présent empreint de mémoire, contaminé par elle. C’est dans ce temps suspendu, partagé, que nos personnages peuvent se dire, se révéler, c’est de là qu’ils nous parlent. Les paroles de nègres laissent leur empreinte sur le film, pour le spectateur qui les entend comme pour les personnages qui les portent. C’est dans l’écho des paroles d’hier que se disent les mots d’aujourd’hui.
S’enracinant dans l’évocation de l’esclavage, c’est bien la question du déclin, de la disparition annoncée du monde ouvrier qui s’incarne en ces hommes ancrés sur leur terre, reconnectés avec leur mémoire. Depuis cette poussière d’île presque ignorée, cet écart du monde, leurs paroles s’inscrivent contre l’oubli, contre le silence, contre l’effacement.
Je me place délibérément du côté de ces hommes, de leur force désemparée, de leur solitude. Je les accompagne des sources de leur histoire aux portes d’un avenir incertain, pour faire entendre leur voix, exalter leur présence.