D'un jardin, l'autre

L'île,

Green guérilla,

Un enclos, La rivière des galets ...

Des films réalisés depuis les jardins ...

Avec ceux qui les façonnent, les habitent et les rêvent.

D’un jardin, l’autre

C’est une idée simple qui a affermi ma volonté de passer à l’acte : les jardins dessinent pour ceux qui les font un centre du monde, et se placer au centre du monde dessine un point de vue d’où le filmer. J’ai donc abordé le cinéma en jardinière, avec patience et modestie, dans la projection et le rêve, en plongeant mes mains dans la terre et en prenant le temps. Dès lors, je n’ai pas décidé de faire un film, mais j’en ai dressé une liste comme on dresse un plan de jardin au cœur de l’hiver : un jardin ouvrier, un jardin en prison, un jardin d’insertion, des jardins communautaires … ma liste était plus longue mais les quasi 10 ans qu’il m’a fallu pour faire « pousser » ces 4 films m’ont conduite à prendre ensuite des chemins de traverses, à miser sur d’autres « idées », sans jamais perdre de vue mon objet de départ. Un jardin c’est  un monde circonscrit, une scène où le corps parle, où la pensée d’envole,  où les paroles s’ancrent et où les mots de racines, de terre, de mémoire, de traces, trouvent des traductions concrètes; un monde de formes et de mouvements, où jouent la lumière et le temps ; un monde bruissant et feutré où s’entendent les échos du monde : un lieu idéal pour faire du cinéma. J’ai avec ce projet forgé mes outils et établi mon vocabulaire, au fond je continue à rêver mes films de la même façon, à espérer rencontrer d’autres jardiniers…

Le jardin est un lieu, le jardin est un paysage, topographie, poétique de l’espace : ces film s’ancrent au jardin, ils en font leur leur centre de gravité. La parole s’inscrit dans le labeur ou dans les heures paisibles du repos et de la contemplation quelqu’un s’énonce ici, se définit à travers son jardin; les héros de ces films sont des jardiniers.

Au jardin le corps parle, le geste a ses marques, le jardinier vit son jardin, il l’arpente inlassablement : le parcours est familier, il faut en saisir l’empreinte. J’attache une particulière importance aux silences et à l’univers sonore du jardin : bruit de fond de la ville sur lequel se détache un bourdonnement d’abeille, bruissement un moment oublié de la prison…

Espace de liberté d’expression et d’action, mais espace clos, confiné, le jardin est traversé de courants contradictoires. À sa beauté toujours perfectible, à la patiente élaboration de son ordre intérieur, s’oppose l’extérieur voué au chaos : le jardin se construit en dépit du monde alentour, pour résister au monde.

Le jardin résiste et parfois échappe, sa nature est rebelle, il n’est jamais figé, jamais réduit à  une image, il est en devenir : la dynamique de ces films est celle de la transformation.

« D’un jardin, l’autre » ne prétend pas définir une typologie, chaque histoire est singulière, chaque film est autonome mais s’enrichit de la vision d’ensemble. Ces films sont faits depuis des jardins et avec des jardiniers, au centre de leur vie, au gré du temps qui passe et du temps qu’il fait. « D’un jardin, l’autre » est le fruit d’un travail au long cours, mené dans des jardins situés au coeur du champ social. À la passion qui s’y exerce font écho des notions plus vastes comme le travail, l’enfermement, l’utopie, le bonheur …

D’un jardin, l’autre  une collection documentaire réalisée par Sylvaine Dampierre avec Bernard Gomez  (éditée par Bodega Films en coffret DVD en 2005)

1/ L'ÎLE

Un jardin ouvrier dans le lit de la Seine, au pied de l'usine de Renault Billancourt
Réalisé avec : Bernard Gomez

Montage : Sophie Reiter

Mixage : Myriam René

Prod : YUMI Productions

Année 1998 / Durée 58′

Un jardin sur un île

comme au centre du monde

où les gestes n’ont pas de fin,

où la mort s’apprivoise au détour des saisons,

où les rêves se sèment

s’enflent et se cueillent

et puis s’éffacent …

 

À la pointe de l’île Saint-Germain, à l’endroit où celle-ci partage le lit de la Seine avec l’île Seguin où se dressait encore l’usine Renault Billancourt, est un jardin.  Un jardin ouvrier au coeur de la plus célèbre friche industrielle de France.

Fernand a travaillé 35 ans chez Renault. Il louait depuis 45 ans une parcelle à la pointe de l’île, face à son usine aujourd’hui fermée et vouée à la démolition. Fernand est lié à son usine par une passion inquiète : « cette usine, c’est mes tripes et le jour où ils la démoliront … « . Alors peut être le monde se défera, alors peut être, il ne fera plus bon jardiner sur l’île…

Face à l’émergence de la société des loisirs, le passé ouvrier s’efface. Il est encore fortement inscrit dans les gestes et les accents, mais il est révolu. Dans sa présence obstinée, pathétique, l’usine en témoigne encore. Le film déroule les quatre saisons du jardin, ce petit espaces affleurant la Seine, ce royaume du presque rien et célèbre la passion jardinière. Dans son exploration de cet Eden dérisoire, au fil du temps, dans la lumière du fleuve, le film opère une sorte d’archéologie au présent : histoire des lieux, mémoire des gens, mémoire d’espaces.

Un jardin sur une île …

L'ÎLE NUE

Un court métrage réalisé en 2004 en hommage à Fernand

Retour sur l’île 6 ans après …

L’ÎLE NUE  a été réalisé à l’occasion de l’édition fin 2005 en DVD de l’ensemble de mes films sur les jardin dans le coffret DVD « D’UN JARDIN, L’AUTRE ». Fernand EVANEN, alors président de l’association « les jardiniers de la pointe de l’île»,  est le personnage principal de mon film « L’ÎLE »réalisé en 1997/1998 dans les jardins ouvrier de l’île Saint Germain.

L’usine Renaud de l’île Seguin était alors fermée depuis 1992, en en faisant le tour en bateau par un matin d’avril, Fernand avait fait revivre la carcasse de l’usine déchue par la vivacité de ses souvenirs. Nous nous étions promis de refaire le voyage lorsque la démolition de l’usine a commencé, en 2004. Mais Fernand n’en a pas eu le temps: l’agonie de son usine s’est achevée par la pointe amont, juste en face du jardin. Jusqu’au bout, vue du jardin, on aurait pu la croire intacte …

BONUS / L’ÎLE NUE / 11′ / film entier

Au printemps 1998 les souvenirs de Fernand redonnent vie au fantôme de son usine déchue ; à l’automne 2004, après 12 ans d’agonie finit de disparaître, dévorée par les mâchoires des bulldozers : Seguin est redevenue une île …

 

2/ UN ENCLOS

Un jardin au coeur de la prison pour femmes de Rennes

UN ENCLOS / 63′ / film entier

Un vrai jardin au coeur d’une prison pour femmes, à Rennes : les prisonnières disent du jardin qu’il est : « le seul endroit dans la prison où l’on ne se sent pas en prison …  »

Le Centre pénitentiaire de Rennes est une prison pour femmes au coeur de la ville. Ce bâtiment ancien, à l’architecture imposante, occupe un large périmètre et comporte à l’intérieur de ses murs de nombreux et vastes espaces verts : mais singulièrement, on y trouve, jouxtant la chapelle, au centre  de l’emboîtement des enceintes, un vrai jardin. Situé derrière la chapelle, il est ouvert aux prisonnières sous la responsabilité de l’aumônier, le père Péron. Dehors mais toujours détenue, Marie Jo est la narratrice du film. La force de son attachement au jardin, au delà de la libération, exprime la difficulté à se réapproprier sa vie, après une longue incarcération, mais aussi la nécessité de ne pas renier ni effacer les années de vie carcérales. Le jardin leur confère un sens.

Marie Jo vit encore le jardin comme le seul espace où, en pensée au moins, elle peut se sentir « libre ». il reste au-delà des murs un véritable point d’ancrage, le lieu inoubliable où s’est accomplie sa renaissance. entre les quatre murs de l’enclos fusent  des voix, des rires de femmes. Par-dessus le chant des oiseaux, s’élèvent des paroles de prisonnières. Elles disent l’humiliation, la promiscuité, la souffrance propre à chacune d’elles. Elles disent les liens vitaux qui les unissent aux plantes, qui les rattachent au monde dont des signes ténus parviennent par-delà les murs.

Prix du Patrimoine au festival du Cinéma du Réel Paris 1999, Pris spécial du jury festival Ecofilm Lille 1999, Grand prix festival du jardin et du paysage Gaillac 2005

LETTRE AUX FILLES
Paris, le 1er mars 2000

Chères amies,

Juste un petit mot pour accompagner ce dossier de presse que Gaby va vous faire parvenir, car je pars pour quelques jours en voyage.

La diffusion du film sur ARTE s’est très bien passée, le film a été annoncé par l’ensemble de la presse et regardé par beaucoup de gens (environs 950 000 spectateurs, une très bonne audience pour la chaîne ARTE)Nous avons eu des échos très favorables de cette diffusion, et je suis heureuse de vous dire que vous avez été largement entendues. Vous verrez, l’ensemble des articles est très positif, notre message a, je le crois, été compris.

Cette diffusion c’était une étape importante, elle est finalement intervenue au bon moment, au moment où les gens commencent à regarder au-delà des murs et à penser qu’il y a des choses à changer. Je suis heureuse que notre travail ait contribué utilement à ce débat.

J’espère que vous pourrez partager ce sentiment qu’au-delà des murs, des gens vous ont écoutées et comprises, que vous les avez touchés et intéressés, que certains n’oublieront pas vos visages et vos mots, que beaucoup se sont sentis interpellés, concernés, impliqués. Si j’ai pu contribuer à percer votre isolement, si j’ai pu ouvrir une petite brèche dans le silence qui vous entoure, j’aurais le sentiment d’avoir été un peu utile.

En tout cas, je veux vous redire combien j’ai été heureuse de vous rencontrer, et de partager tout cela avec vous, j’ai beaucoup appris de vous, et je vous en remercie encore.

Toute mon amitié, et celle de tous ceux qui ont maintenant le sentiment de vous connaître, merci encore, au nom de toute l’équipe, ceux que vous avez vus et les autres, nous sommes tous très fiers de vous.

N’hésitez pas à m’écrire,

Sylvaine.

 

Journal de repérages
Samedi 29 novembre

Quand je sors de chez moi, à 6 heures du matin, une bourrasque d’air tiède s’enroule autour de moi et je pense à l’océan. J’imagine que ce souffle vient de la ville où je me rends ce matin : Rennes. Pourtant dans le hall de la gare T.G.V. c’est un froid pénétrant qui me saisit. Dans ce décors hostile jusqu’au vertige, il semble que le frisson se soit installé à demeure et qu’hiver comme été, les voyageurs doivent y contracter les épaules et remonter leur col.

Je me réfugie dans une improbable salle d’attente, vaguement chauffée : des rangées de sièges métalliques au design affligeant, béton gris, paroi vitrée ouverte sur un néant visuel. Sur la vaste surface de verre est apposée une unique affiche que je distingue du fond de la salle où je suis assise. Elle est de petite dimension mais je peux lire les mentions en caractère gras; en haut : ENFANTS DISPARUS, en bas : MISSING CHILDREN. Les enfants qui manquent, c’est cette phrase en anglais qui fait le plus échos en moi, c’est cela, presque exactement cela, qui résonnait si fort quand je pénétrais pour la première fois dans la vaste cour de la prison de Rennes : ici les enfants manquent, tous ces enfants qui LEUR manquent.

Dans le train, montent des voyageuses élancées dépassant toutes le mètre quatre vingt, elles se retrouvent et babillent joyeusement en anglais ou en russe, certaines sont belles d’autres déjà figées dans une joliesse convenue : j’imagine un exode de tops-models débutantes vers la Bretagne … Cette vision me replonge dans mon rêve de cette nuit. J’ai appris hier soir par un coup de fil in extremis de la directrice que l’entrée dans la prison m’était finalement refusée pour ce samedi. La brutale déconvenue a provoqué ce rêve : j’accédais à une salle d’attente, un sas entre l’extérieur et l’intérieur de la prison qui ressemblait à une salle d’audience de tribunal. Les prisonnières passaient en groupe, guidées par une surveillante, je n’avais pas obtenue l’autorisation de les rencontrer mais je saisissais l’occasion, à leur passage, pour les saluer et m’excuser. Quelqu’un expliquait d’ailleurs pour moi :  » ça n’est pas de sa faute, un contretemps, elle s’excuse! » Le groupe des prisonnières était bruissant et bienveillant, poussées par la surveillante elles s’éloignaient en faisant des signes et en lançant des au-revoir joyeux. Je voyais s’éloigner de dos, un groupe de femmes, des jeunes femmes aux chevelures ondoyantes, et une vision presque « Botticelienne » s’imprimait dans ma mémoire : des chevelures mêlées des visages qui se dérobent et des rires cristallins … Fantasme : une attirance ambivalente m’entraîne vers des femmes, ma quête, dans ce film, est celle du féminin…

La voix de Marie-Jo au téléphone m’avait parue jeune j’y avait décelé une pointe d’accent méridional. J’avais imaginé une jeune femme brune…

Au sortir du bus, après un long trajet à travers le centre ville puis les faubourgs, au bas de l’avenue Alexis Carrel jonchées de feuilles d’un jaune incandescent, après avoir tourné devant la très laide église Jeanne d’Arc, j’avais trouvé le patronage, la salle de sport et poussé comme convenue la lourde porte de fer du secrétariat. Là dans le bureau au fond du couloir m’attendait Marie-Jo.

`C’est une femme d’une cinquantaine d’années, à la silhouette lourde qui m’accueillit et je ne pus réprimer un absurde sentiment de dépit. Mais dès que nous prîmes place aux deux extrémités d’une petite table rouge sombre sur laquelle Marie-Jo croisa les bras et commença un récit presqu’ininterrompu de trois heures d’une rare intensité, je plongeais dans un visage.

Sa bouche est petite les yeux noisettes écartés et saillants aux paupières légèrement fardées de vert, ses cheveux bouclés et grisonnants.

La voix est douce teintée d’une pointe d’accent méridional, le ton est mesuré et retenu, l’exposé résolu et méthodique, incroyablement clair, incroyablement net.

« Discipline », c’est d’abord ce mot que répète Marie-Jo pour définir sa vie et expliquer comment elle peut aujourd’hui en surmonter toutes les difficultés matérielles et morales. Discipline et volonté, pour supporter la contrainte, pour survivre à la douleur, pour traverser tout cela. Discipline et contrôle de ce visage et puis soudain, au détour d’une phrase, à la première évocation – peut-être – du jardin, un sourire lumineux l’éclaire. Des rides d’expression s’étoilent autour des yeux et l’on réalise avec surprise que ce visage a été façonné par le sourire: il y a eu du bonheur et de la joie dans cette vie là, avant.

Marie-Jo exécute en « chantier extérieur » les derniers mois de sa peine de sept années. Depuis Octobre, elle n’est plus incarcérée, elle est pourtant toujours prisonnière. Dans le secrétariat de cette petite association sportive elle doit travailler et achever sa formation. Pourtant aucun rapport entre le travail de maquettiste qu’elle avait tant aimé faire dans l’atelier de la prison, et les rares tâches qu’on lui assigne ici, quand l’ordinateur veut bien fonctionner.

Elle dépend toujours de l’administration pénitentiaire, son salaire à l’aune de ceux que l’on touche à l’intérieur, lui laisse une fois toutes les retenues faites, 247 F par semaine. Mais elle doit assurer seule sa subsistance et ses frais médicaux. Marie-Jo est assignée à résidence à Rennes, elle habite un logement « adapté » qu’elle décrit comme sordide et où nous ne pourrons pas nous rendre ensemble. Elle n’a le droit d’y recevoir personne hormis ses ascendants ou descendants, elle doit y être rentrée tous les soirs à 19 heures, pour toute dérogation aux multiples règles qui régissent sa vie elle doit s’en remettre à l’avis de son « référent ». Elle devra lui demander l’autorisation pour que je puisse la filmer Marie-Jo ne sera vraiment libre qu’en avril, alors on lui remettra son pécule et elle reprendra pied dans la « vraie » vie, et ce pas là peut donner le vertige.

Sortie. Sortir , dit-elle, ça n’est pas si facile… Il faut couper les ponts, l’ancienne détenue est interdite de parloir, tout juste lui a-t-on accordé le droit d’écrire à quelques unes de ses anciennes amies, « mais par lettre on ne pas tout dire »… Tant de liens entravent encore la vie de Marie-Jo. La parole coule, j’écoute, et soudain j’entend ceci : « Si je pouvais, j’y retournerais bien, au jardin ».

Transférée de la maison d’arrêt de Bordeaux où elle s’occupait activement des quelques plates bandes, Marie-Jo est arrivée au C.D. de Rennes en 1995. Le jardin était alors à l’abandon et placé sous la coupe de certaines détenues qui s’en déclaraient responsables.

L’arrivée du père Péron au début de 1996 met fin à une période troublée, l’accès du lieu est désormais sous sa responsabilité.

Au printemps dernier, à la demande du père Péron, Marie-Jo reprend les choses en main. Elle va élaguer tailler désherber, diviser, replanter, remodeler les plates bandes.

« Le jardin n’était fleuri qu’au mois d’avril avec les iris et les campanules, les rosiers dépérissaient et ne fleurissaient plus qu’à la cime, on ne pouvait plus cueillir le lilas, le mimosa avait gelé. J’ai taillé les lauriers roses comme une arche et on a placé en dessous un banc de fortune, j’ai dit au père : « tiens, voilà ton nouveau confessionnal! » J’y oubliais la fatigue et le temps, je pouvais passer des heures à démêler les racines des mauvaises herbes. D’ailleurs ça fait ça même à celles qui n’y viennent pas pour travailler mais juste pour prendre l’air, quand à 18 heures il faut quitter les lieux on en entend certaines qui disent « déjà? », c’est le seul lieu dans la prison où l’on peut entendre une chose pareille : on a pu oublier le temps. »

J’interroge Marie-Jo sur cette particularité du lieu, le jardin comme seul lieu où l’on ne se sentirait pas en prison. En effet me dit-elle, d’abord il jouxte presque le mur d’enceinte, le chemin de ronde qui le sépare de ce mur, n’est pas visible et on peut l’ignorer. En fait du jardin on peut voir la façade de la prison, « comme de l’extérieur », on est comme « au bord de la prison ».

Marie-Jo a dépensé des trésors d’énergie dans « son » jardin, et elle m’avoue même avec un de ses sourires de petite fille qu’elle a repoussé sa libération de deux semaines pour trouver le temps de tailler les rosiers avant de partir…

Il fallut bien partir pourtant, et confier son oeuvre à une autre, elle a choisi Marie-Christine. Celle ci purge une peine de trente ans, quatorze années de sûreté lui restent encore à faire, son délit est grave, de ceux qui vous isolent des autres, Marie-Christine n’osait pas se rendre au jardin. Marie-Jo l’a entraînée, lui en a fait découvrir les bienfaits. Elle lui a livrer le jardin comme un talisman, une antidote au désespoir, une voie pour échapper à « l’enfer permanent dans lequel vivent les filles qui ont fait de telles choses ».

Aujourd’hui Marie-Jo est inquiète, que va devenir le jardin, est-ce que Marie-Christine va s’accrocher?

En partant elle lui a aussi confiée sa cellule. « Elle donne sur la ville, on voit une mare où se déversent les eaux de pluie, la grande pelouse toujours déserte et au delà du mur la rue de l’Alma. D’ailleurs certaines filles ne supportent pas et préfèrent la vue sur la cour intérieure. Aux grilles et devant la fenêtre j’avais accrochés plusieurs pots et fait prendre plein de boutures, j’ai confié mes plantes à Marie-Christine. Mais avant j’ai prélevé à nouveau des boutures sur ces plantes, une branche du pommier d’amour, du bégonia et du ficus que j’ai bien enveloppées dans du papier humide et confiées au père Péron, il les a sorties en fraude pour moi, elles ont poussé magnifiquement.

« Bien sûr j’ai la main verte mais ma mère, elle, pouvait faire fleurir des pierres »

Vient alors le moment d’évoquer avec Marie-Jo les autres jardins de sa vie, et notamment le dernier avant la prison, celui où courraient ses deux fils et qui fut perdu, abandonné, vandalisé, vendu.

Marie-Jo sera définitivement libre au mois d’avril prochain, avec un peu de chance elle pourra alors transporter ses plantes dans un deux pièces HLM avec une fenêtre au sud et peut-être un balcon, je serai là sans doute pour la filmer; j’aurai pu aussi j’espère lui donner des nouvelles et même lui montrer des images de « son » jardin, j’aurais pu filmer Marie Christine et visiter sa cellule, j’aurai avancé dans cette histoire et Marie-Jo aura peut être pu commencer à rêver d’autres jardins.

Mais en attendant, il m’apparaît essentiel de recueillir la parole de Marie-Jo au plus vite. La problématique de la sortie est une voie nouvelle pour le film qui s’impose à moi après cette précieuse rencontre. Au milieu du vertige qui saisit Marie-Jo le jardin apparaît comme le seul point d’ancrage, a travers la passion qu’elle met à l’évoquer se révèlent un réseau de sentiments complexes. La force de cet attachement, qui exprime la difficulté à se réapproprier sa vie après une longue incarcération, s’atténuera sans doute, évoluera sûrement. Je souhaite, je l’ai dit suivre Marie-Jo jusque après sa libération définitive, mais cette rencontre marque un véritable point de départ pour le film…

 

 

Réalisé avec Bernard Gomez

Montage : Sophie Reiter

Mixage : Myriam René

Prod : Play films / Durée : 63′

Prix du patrimoine Festival cinéma du Réel Paris 1999

Prix spécial du jury Festival EcoFilms Lille 1999

Grand Prix festival du jardin et du paysage Gaillac 2005

Autour d'Un enclos ...

Un enclos, Journal de tournage / 22′

Retour à Rennes, sur le parcours qui nous conduisit jusqu’au jardin de la prison. Retour sur un tournage, sur cette expérience radicale de filmer en prison, pour compléter et poursuivre la réflexion de « Un enclos  » à travers d’autres rencontres, autres témoignages.

Quelque chose à vous dire / 11 ‘

Six ans après notre première rencontre, Marie-Jo n’est plus détenue, mais a t-elle réellement recouvré la liberté?

Elle vit toujours à Rennes et bien qu’elle soit dehors depuis plusieurs années, elle vit toujours dans l’écho douloureux de la prison comme la plupart de ses compagnes. Aujourd’hui, il lui arrive encore de regretter « son » jardin de prisonnière.

3/ GREEN GUÉRILLA

Dans les jardins communautaires de New-York

À New York, c’est sur les béances de l’espace urbain que des groupes de citoyens ont semé et réalisé une utopie : créer des jardins communautaires sur les décombres. Les jardins sont de fragiles enclaves dans l’immensité de la ville, ils recèlent des traces de l’histoire humaine de New York. Les jardins s’y inventent des racines, y façonnent des souvenirs d’enfance pour leurs enfants, y trouvent les moyens d’améliorer la vie de leur communauté.

Malgré la pression immobilière et l’hostilité de la municipalité, qui en détruit chaque année plusieurs dizaines, on compte encore aujourd’hui près de 750 de ces jardins. C’est au cœur des quartiers défavorisés que le film trouve son ancrage pour dessiner un portrait de New York à échelle humaine, avec ceux qui y ont érigé de fragiles barrières contre la loi de la jungle : des hommes et des femmes entrés en résistance, tout simplement.

C’est à New York City qu’est né dans les années 70, un mouvement qui a depuis essaimé dans plusieurs mégapoles nord américaines et tend à se développer sous des formes proches en Europe : la récupération de friches urbaines par les habitants d’un quartier et la création collective, sur ces espaces à l’abandon, de jardins communautaires. Les “community garden” de New York sont nés sur les décombres laissés par la crise économique et occupent une petite partie des 11 000 terrains vagues que compte aujourd’hui encore cette cité tentaculaire. Malgré la pression immobilière et l’hostilité de la municipalité, qui détruit chaque année plusieurs dizaines de ces jardins, on en recense aujourd’hui encore plus de 750, répartis dans tous les quartiers de New York.

Disséminés dans la grande cité libérale, les jardins collectifs de New York offrent une image bien éloignée de notre vision européenne du jardin d’agrément. Terrains d’expérience et de sensibilisation aux questions d’environnement, lieu d’expression des courants identitaires et culturels les plus divers, lieux d’élection des enfants qui y apprennent à jardiner, lieux de production aussi dans les quartiers les plus démunis où ils servent à nourrir les gens, véritables lieux de résistance, ces jardins de crise sont le théâtre de tous les rêves communautaires new-yorkais. Ouverts à tout le voisinage, occupés et gérés collectivement, ces jardins sont le plus souvent placés sous la responsabilité principale d’une personne, plus investie et plus disponible que les autres, devenue de fait le véritable jardinier du lieu.

DU JARDIN AU TERRITOIRE

 Filmer la ville à hauteur d’homme, opposer cette vision à la démesure de la cité, tel est le projet du film. Les petits jardins qui se nichent dans les brèches du tissu urbain sont autant de haltes d’où la ville est explorée à fleur de rue. Centre vital du bloc, cœur vivant d’un quartier délimité par quelques rues, les jardins sont des royaumes minuscules et presque indécelables dans le quadrillage démesuré de la cité. Chaque jardin cristallise les aspirations d’une micro communauté, et dans le film un lieu propice à interroger la question communautaire. Elle est vécue dans les jardins comme un ferment de solidarité et l’expression d’une vitalité sociale. Lieux privilégiés de l’expression – et aussi du repli – identitaire ces jardins dont chacun peut pousser la grille sont aussi d’exceptionnels lieux d’échange. Fragiles échafaudages de rêves mis en commun, ils témoignent de l’étonnante capacité des new-yorkais à partager, à « collectiviser » leurs aspirations terriennes.

NEW-YORK REPÉRAGES

NEW-YORK REPÉRAGES / 12′ / film entier

Dans la chaleur torride de cet été là, immergée dans l’immensité new yorkaise, confrontée au vertige que provoque immanquablement cette ville, nous nous inventons des repères de cinéma. Arès septembre 2001, tout a changé, rien n’a changé, le ciel est devenu plus grand.

New York est une ville miroir, à votre première visite, elle vous renvoie immanquablement le reflet de vos propres rêves. Elle est déjà là, inscrite dans votre mémoire et s’offre à votre regard en une série de visions si exactement conformes à ce que vous imaginiez, qu’un vertige vous prend. New York est une ville cliché, où notre regard européen retrouve une succession de  » souvenirs-écrans « . Mais quand, arrivée dans les écarts du Bronx à travers un dédale de rues défoncées bordées d’immeubles hors d’âge, vous poussez la grille d’un petit jardin coincé entre deux blocs où l’on vous accueille avec chaleur, vous passez de l’autre côté du miroir

4/ LA RIVIÈRE DES GALETS

Un jardin d'insertion à l'île de la Réunion
Un jardin d’insertion à la Réunion, département français de l’Océan Indien qui compte 40% de chômeurs. A Rivière des Galets, banlieue de la Ville du Port, une petite équipe d’hommes et de femmes chômeurs de longue durée sont employés à transformer une lande rocailleuse en un potager agro-biologique.  Ce projet a une vocation sociale : faciliter l’insertion ou réinsertion professionnelle de la population de la commune fragilisée par le chômage, au travers d’un stage d’un an, une voie vers le retour à l’activité, l’opportunité de formuler un projet professionnel. Pour les stagiaires de la Rivière des Galets, l’apprentissage et la réapropriation d’une fonction productive s’entendent comme un retour à la vie. En retrouvant le chemin de la terre, en renouant avec celle-ci, ils vont tenter de construire, dans cette société post-coloniale à l’économie assistée, un nouvel enracinement. Depuis ce site ingrat, au coeur d’un paysage restructuré par des mutations trop rapides, le film trouve un point de départ. Avec ses actuels occupants, nous remonterons le cours de la rivière des Galets, vers les terres des origines, inversant le parcours qui attira inexorablement les habitants des montagnes et des collines vers la plaine et ses promesses de travail, et qui les a conduits bien souvent à l’impasse du chômage et de son « traitement social » comme seule réponse …
Réalisé avec Bernard Gomez

Image : Sylvaine Dampierre et Bernard Gomez

Montage  : Sophie Reiter

Son : Myriam René

Prod : Yumi productions / Play Films

58′ / 2000