L’écriture pour le cinéma a sucité des dizaines d’ouvrages et de manuels dont la plupart distillent des recettes réputées infaillibles. Souvent venues des États unis, les théories du scénario se déclinent en règles intangibles, en figures géométriques, arc dramatiques et lignes d’intrigues.
Mais dans son livre Visages d’un récit, Laurent Mauvignier offre la chronique autrement plus profonde de la migration de son écriture du roman au cinéma en passant par le théâtre. Car l’auteur est romancier, vivant la littérature comme une respiration et l’écriture comme un chemin. Et ce voyage-ci le travaille des mois et des années durant : « Tout mon amour » était initialement un projet de scénario, inspiré d’un fait divers, travaillé à quatre main durant des mois avec le jeune cinéaste Othello Vilgard, abandonné de guerre lasse, ressuscité à l’occasion du travail avec une troupe de théâtre et finalement redevenu un film à part entière issu de l’expérience théâtrale.
Visages d’un récit retrace le glissement tectonique d’un champ à l’autre : du réel au récit, du récit à l’histoire, de l’histoire à l’incarnation, de la voix à l’écriture, de la scène à l’écran, Laurent Mauvignier y relate une bataille passionnante.
Écrire « pour » le cinéma, c’est d’abord pour l’écrivain la perspective du renoncement à l’essence même de la littérature :
« La littérature ne cherche pas tant à éclairer le monde, à en donner une vision lisible, qu’à lui rendre son mystère ». Hors, découvre t’il en tentant de se plier à l’exercice du traitement : « La difficulté de l’écriture scénaristique c’est de demander à l’auteur de connaître l’histoire avant de l’écrire »; c’est d’abord l’expérience d’un sacrifice : « (…) l’anecdote contamine tout le récit, le gangrène, tous les personnages et les situations étouffent sous les questions de vraisemblance ».
Mauvignier trouve un nouveau souffle dans la collaboration avec une troupe de théâtre, pour une mise en voix du texte avec des comédiens et fait alors l’expérience du dépouillement :
« Car le paradoxe est là : il faut éloigner la langue pour mieux la faire vibrer et résonner. Il faut adoucir ses effets pour les faire vibrer pleinement. Il faut se résoudre à donner le minimum à l’espace de l’écrit pour qu’il puisse s’élancer sans rien écraser, ce qui est difficile pour quelqu’un dont l’habitude est de laisser toute la place à la langue. Ici il faut accepter le risque d’un écriture décevante ».
Ce qui n’était déjà plus un roman mais n’a pas pu devenir un scénario, est devenu un texte théâtral. Et Mauvignier se confronte avec la question de la lisibilité de l’histoire, de sa perception, pour aller vers toujours plus de liberté :
« C’est que, pour aller vers la parole comme acte, il faut oublier de dire, ignorer la présence du spectateur, aller vers une parole qui ne s’adresse pas au public ni à une compréhension immédiate. il faut tuer le soucis de vouloir se faire comprendre, d’être clair, pour mettre en mouvement le texte, lui donner une présence qui sera peut être plus difficile à déchiffrer, mais qui sera une expérience d’altérité. »
Et c’est alors que le projet de film renaît, avec le même Othello Vilgard, « Tout mon amour » est un film à part entière, né de la pièce.
Ce qui rend cette lecture passionnante, inspirante et libératrice, c’est que ce long périple aboutit à retrouver le cinéma dans son essence :
« Car c’est par le cinéma qu’on accomplit le cinéma, pas par les histoires, ni par les acteurs, comme on le croit trop communément dans les mauvais films. »
« ( ) l’idée de filmer, c’est d’abord chercher l’émotion de la naissance, une sorte d’épiphanie de l’apparition, de l’incarnation, au moment même où elles produit, peut-être même à l’insu de ceux qui en vivent l’expérience. »
Voilà de quoi ressourcer l’aventure de l’écriture, l’animer d’un nouveau souffle, redonner envie d’écrire non pas POUR mais VERS le cinéma.
Le livre, accompagné du DVD du film vient de paraître aux éditions Capricci.
L. Mauvignier, Visages d’un récit Paris: Capricci 2015, 128 pages *19 euros