Long-métrage documentaire - 2009
Full HD, english subtitled version is now available.
Synopsis
De retour dans l’île que son père a quitté 50 ans plus tôt, la cinéaste remonte le cours du temps pour retracer l’histoire de son nom. Au fil de ce voyage initiatique sur les terres d’enfance de son père, son enquête nous transporte jusqu’à l’époque de l’esclavage. Aux archives, dans les jardins créoles ou les ruines des usines à sucre, se croisent les chemins d’une mémoire vivante, se dessine la vision d’un pays où les récits, les corps, les musiques, parlent avec force d’une histoire qui résonne encore. Le film se compose comme un jardin créole, dans le foisonnement des images et des récits ; il s’attache à la terre, entremêle repères intimes et mémoire collective. Avec Michel Rogers, généalogiste habité, à travers les souvenirs du père exilé ou dans les pas de Léna Blou, chorégraphe inspirée et de ses jeunes élèves, il déchiffre les traces contemporaines de l’esclavage, voire du colonialisme en général. Au détour de la Guadeloupe d’aujourd’hui il tend un miroir à la France dite métropolitaine : il part à la recherche de l’envers du pays.
THE COUNTRY UPSIDE DOWN
An intimate journey across the legacy of the Slavery in the Guadeloupe island.The filmmaker goes back in the island that her father left 50 years before. As she searches for the meaning of her birth name, she goes back up the course of time. Through her initiatory journey across the country of his father’s childhood, her probing leads us to the time of slavery.At the Archives, from the creole gardens to abandoned sugar factories, the paths of a vivid memory are crossing and the portrait of a country is taking shape. A country where tales, movement of bodies, music, are steeped of a still living history.The film takes its roots, with the luxuriance of a creole garden, in a profusion of images and of stories, interlacing intimate and collective remembrances. Alongside the passionate genealogist Michel Rogers, with a local dance teacher and her pupils, across her father’s memories of exile, the film explores the contemporary traces of slavery and of the colonialism. Across the Guadeloupe of today, the documentary invites the « metropolitan » France to watch itself in a mirror, leaving in search of an inverted image: that of the country upside down.
Le film est un jardin créole
Le pays allant vers …
On savait le cinéma affaire de mouvement, de déplacement. Je parle du pas de côté qu’il faut faire pour s’inventer cinéaste, je parle du recul qu’il faut prendre pour filmer jusqu’au plus intime, de l’écart entre soi et le monde qu’il faut ménager pour pouvoir le filmer, de l’interstice dans lequel pourra se glisser le spectateur. Je parle de dépaysement.
Le cinéma est affaire de géographie, c’est ce que nous disent ses inventeurs, les grands arpenteurs des débuts, les Lumière ou les opérateurs d’Albert Khan, parcourant le monde pour le donner à voir à des voyageurs immobiles, les yeux grands ouverts dans le noir. La vitalité du cinéma aujourd’hui se réinvente ailleurs, les yeux des cinéastes partout s’ouvrent sur leur monde et agrandissent le nôtre. Les bonnes nouvelles du cinéma arrivent d’Asie, d’Amérique Latine, d’Afrique… Elles tarderaient à émerger de l’arc Caraïbe. Il y aurait là un nouveau monde, né de la collision violente entre Afrique et Occident en terre d’Amérique, qui aurait su créer des langues, irriguer le monde de toutes les musiques, exubérant de récits et de chants, gorgé d ‘écrivains et de poètes, mais qui n’aurait pas encore complètement saisit les armes du cinéma pour se dire ?
Peut être, je ne sais que peu de choses. D’ailleurs, l’ignorance est la meilleure arme du cinéaste, c’est elle qui le pousse à aller voir ; ce sont les questions qui le font avancer – toujours – les réponses ne lui servent à rien. Peut être juste cela : un film c’est toujours un voyage, il faut se mettre en route, quitter le cocon des ses certitudes, partir à l’aventure avec un regard neuf. Un film, il faut le penser avec ses pieds. Alors l’horizon s’agrandit, le territoire se déploie et l’île la plus petite devient un continent, l’exploration peut commencer. Guadeloupéenne de l’autre bord, d’où j’ai longtemps rêvé l’île, j’ai tracé mon chemin dans les pas de mon père, dans l’écho de son histoire : une histoire de départ, de rivages que l’on quitte. Je suis née de ce voyage, de ces amarres larguées. J’ai abordé cette terre armée de mes incertitudes, je suis allée vers ce pays qui fait partie de moi mais qui m’est étranger. Je suis partie à la rencontre de l’autre en moi même, un voyage au pays à l’envers pour faire l’éloge de la liberté de l’hybride, de ceux qui ne savent pas d’où il viennent et encore moins où ils vont, en éloge de la présence au monde.
On dit que dans ce pays les récits sont enfouis, les paroles serrées derrière des lèvres closes, les secrets bien gardés et la mémoire blessée. On le dit et c’est sûrement vrai. L’histoire de ce pays est courte et douloureuse, elle a la fragilité des souvenirs. Les traces s’y perdent de n’être pas foulées et les grandes personnes n’y ont pas tout raconté aux enfants perdus. Les racines des arbres disputent à la mémoire des hommes, les figuiers maudits dévorent les anciennes prisons d’esclaves et les machineries des usines déchues disparaissent, enserrées par les lianes; les parkings et l’asphalte assèchent ce qu’il reste de souvenir. Mais il suffit de gratter la terre, de se laisser caresser par le vent, d’ouvrir les yeux et les oreilles, de regarder autour de soi pour rencontrer les porteurs de mémoire, les arpenteurs, les jardiniers. Car il y a ce geste, fondateur : des mains d’esclave fouillant la terre pour y enfouir une racine d’igname. Il dit le renoncement au rêve de retour, il est à la fois défaite et promesse, il fonde un nouvel enracinement. J’ai trouvé dans les jardins créoles des créateurs de monde, penchés sur la terre escarpée des mornes, et ce que je sais de ce pays c’est d’eux que je l’ai appris.
Le pays parle, il suffit de l’écouter. Ici la mémoire est fragile, elle s’inscrit dans les corps plutôt que dans le marbre, mais elle est vivante, elle est à réinventer. J’aime les traces incertaines, les documents à moitié effacés, les interstices de la mémoire pour ce qu’ils recèlent d’invention, pour ce qu’ils laissent imaginer, j’aime à penser que la terre seule a de la mémoire. Le pays est riche d’une histoire plurielle, de toutes les histoires encore enfouies, de tous les contes encore à dire. Il suffit de gratter la terre, d’arpenter le pays, d’entendre son appel, de se mettre debout, de se mettre à danser.
Nous sommes un peuple né sous X
Michel Roger / généalogisteITV de Sylvaine Dampierre, par Camille Jouhair, distributeur – 18/07/2008
C.J. Pourquoi le titre «Le pays à l’envers» ?
S.D. « À l’envers », parce que le film est un voyage à rebours : je suis de l’autre rive, guadeloupéenne de l’autre bord, et je remonte le cours d’un voyage qui m’a fait naître bien loin de l’île que mon père a quittée il y a 50 ans. « Le Pays », parce que l’île en est un, si riche et singulier, au coeur du monde. Mais aussi « à l’envers » comme dans un miroir, le miroir que je tends au Pays et le miroir que le pays nous tend : l’histoire de l’esclavage est une histoire à la portée universelle mais aussi, ne l’oublions pas, une page de l’histoire de France.
C.J. Avec « Le pays à l’envers » vous remontez le fil de la mémoire et des origines. Comment est venue cette quête ?
S.D. C’est une quête de cinéma. Un jour, j’ai reçu un appel de Guadeloupe, on m’invitait à venir montrer mes films à Gosier, la ville natale de mon père. Une fois sur place, j’ai compris que mon nom de famille y était un puissant sésame, que sans avoir jamais fait de film en Guadeloupe, ni y avoir jamais vécu, je n’étais pas loin d’y être considérée comme une cinéaste locale ! Cinéaste invitée et Guadeloupéenne inventée – et enchantée – j’ai décidé de répondre à l’appel de mon nom, et la suite, le film la raconte …
LIRE LA SUITE
CC.J. Le film semble posé, sans rage intérieure de votre part, est-ce une façon à vous de remonter l’histoire sans froisser l’histoire ?
S.D. La rage m’est sans doute étrangère, mais je la reconnais chez d’autres, la comprends et la respecte. La violence de l’esclavage n’a de toute façon pas besoin de surenchère pour s’imposer, elle se manifeste radicalement dans le moindre détail. Elle est là, inscrite dans les registres, à portée de main, je n’ai fait que plonger mon regard vers cette mémoire et j’ai senti combien elle était vivante.
C.J. En évoquant cette quête de l’identité, vous touchez une page de l’histoire de la Guadeloupe et du peuple noir sur cette période sombre de l’esclavage et de la colonisation, quel est votre sentiment aujourd’hui ?
S.D. J’ai le sentiment que cette histoire n’est pas terminée, qu’elle reste à écrire, à explorer dans sa complexité, parce qu’elle résonne encore, qu’elle éclaire l’âpreté du monde d’aujourd’hui. Je pense avec beaucoup d’autres que pour la société antillaise et au-delà, la mémoire est un gage d’avenir, et la solution n’est ni dans l’oubli, ni dans la simplification réductrice.
C.J. Certains sont divisés sur cette histoire, il y a ceux qui disent « avançons » et ceux qui disent « repentance», quel est votre sentiment après avoir réalisé ce film ?
S.D. J’ai le sentiment qu’il faut écrire l’histoire d’un monde commun, qu’il faut accepter l’héritage pour pouvoir construire sa liberté. En Guadeloupe, j’ai filmé des hommes et des femmes debouts, vivants, dignes, ancrés. J’ai voulu faire résonner des paroles fortes, rendre hommage à des gestes de création, de production, de transmission. Sur cette terre-là, des hommes et des femmes avancent, ces gens avancent, loin de la plainte et du ressentiment, ils y puisent leur force et nous la communiquent.
C.J. Quel a été votre contact avec les Guadeloupéens quand vous avez commencé cette démarche ?
S.D. J’ai tout de suite été frappée par l’intensité des échanges, la générosité des gens, la sincérité de leur expression. J’ai filmé dans plusieurs pays, et je peux dire que les gens d’ici investissent le champ de la caméra avec une grande justesse et une vraie grâce. J’abordais aussi ce tournage avec beaucoup d’émotion, plus que jamais l’enjeu de ma légitimité de cinéaste, de ma place, était important pour moi. Mes personnages m’ont magnifiquement rendu mon regard, et je remercie chacun d’entre eux pour ce qu’il m’a donné. Ce film c’est la Guadeloupe qui me l’a offert tout comme, je l’espère, le prochain. Le pays est si riche et il y a tant d’histoires à raconter … Le parcours de mon père fait écho au destin de plusieurs générations d’antillais d’ici ; même s’il raconte un arrachement volontaire, un affranchissement dans lequel tous ne se reconnaîtrons pas. Moi-même, je représente un lien fragile, une appartenance distanciée ; et mon fils lui, arbore fièrement la carte de l’île autour de son cou… Je parle pour tous ceux qui portent une île en eux-mêmes, c’est une façon d’être au monde, que l’on soit d’ici ou d’ailleurs.
C.J. Que pensez vous des rapports ou liens entre la France et la Guadeloupe aujourd’hui ? S.D. Difficile d’avoir une pensée globalisante sur une question aussi complexe. Je note en France une réticence à faire face au domaine antillais, un héritage colonial qui ne passe pas, une méconnaissance tenace. J’entends en Guadeloupe les échos d’un attachement souvent déçu mais lucide. Ces rapports sont déséquilibrés, j’espère contribuer très modestement à les rendre plus adultes.